Sombre
Méditation sur les abîmes
2019 - 2022
PRÉSENTATION
Mon travail récent porte sur des notions comme l’impermanence, le vertige, le vacillement, le déclin et la disparition. En filigrane, j’y tente l’évocation de la dégradation de notre rapport au réel, notamment depuis la fin de la photographie argentique. Il y a toujours une réflexion sur la photographie qui sous-tend mon travail de création.
Avec Sombre – Méditation sur les abîmes, j’ai tenté de relever le défi d’adopter une pratique qui pousserait à ses limites esthétiques les possibilités du numérique (infographie complexe que je souhaitais et que je crois avoir rendue signifiante). Réalisant ce corpus en pleine pandémie, j’ai rapidement été amené à y intégrer une réflexion sur la violence institutionnelle et la cruauté en général.
À une époque, la photographie était considérée comme une «fenêtre ouverte sur le monde». Désormais, cette fenêtre s’est refermée, la réalité subsiste vaguement comme information derrière un voile de pixels. La photographie a perdu le caractère d’apparition qu’elle revêtait du temps où elle était «révélée». À la limite, on pourrait parler de la perte de son caractère sacré.
Certains tirages sont rehaussés de feuille d’argent. Ce métal a une valeur symbolique forte puisqu’il est historiquement à la base du procédé physico-chimique de la photographie. En outre, les carreaux évoquent le pixel et parce qu’ils ternissent à la longue, le caractère fragile et éphémère de l’image, voire l’altération progressive de nos repères cognitifs.
Je considère que nous avons perdu ce lien intime que nous cultivions jadis avec l’objet de la représentation par le truchement du médium traditionnel. Mes images laissent surgir des êtres aux traits ravagés, sorte de clowns tristes ou de bouffons déchus, personnages énigmatiques, souvent en interaction. Elles semblent exprimer la dévaluation du sujet, la faillite du projet qui tendait jusqu’alors à représenter de façon concluante quelqu’un ou peut-être quelque chose qui nous échappe, toujours... Il va sans dire que ma démarche procède d’une certaine nostalgie.
Tantôt vaguement comiques, parfois burlesques avec ce que ce genre peut comporter de grinçant et de tragique, je crois que mes œuvres oscillent constamment entre ces deux pôles de l’humour noir et du désespoir, comme autant de postures dérisoires face à notre condition, en écho peut être à notre déni collectif de la mort avec ses visages un temps masqués, défigurés. Mort physique comme depuis déjà, celle de notre sens critique et de notre humanité.
JJR